En apparence, le principe semble simple : deux régimes coexistent, l’un pour les vaccinations obligatoires, l’autre pour les vaccinations facultatives.
Les patients qui développent une maladie de type sclérose en plaque à la suite d’une vaccination contre le virus de l’hépatite B sont donc indemnisés différemment selon qu’ils se trouvaient dans l’obligation de se faire vacciner, ou pas.
S’il s’agit d’une vaccination non obligatoire, c’est le laboratoire qui a fourni le produit qui assumera la charge de l’indemnisation des conséquences : c’est l’application normale de la responsabilité du fournisseur de produit défectueux…
S’il s’agit en revanche d’une vaccination obligatoire, qui est imposée par la loi aux membres de certaines profession dites exposées (comme les salariés des hôpitaux, certains travailleurs sociaux, les pompiers, etc..) on considère que c’est l’état qui doit assumer les conséquences d’une vaccination qu’il a imposée, de sorte que la prise en charge devra être assurée par la solidarité nationale, donc, puisqu’on est en matière de santé, par l’ONIAM.
Le principe résulte de l’application de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique, modifié par la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, qui dispose que la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire est assurée par l’ONIAM (Office Nationale d’Indemnisation des Accidents Médicaux, voir l’article sur l’ONIAM sur le présent site).
On peut également se reporter à l’Article R3111-27 :« l’indemnisation d’un dommage considéré comme imputable à une vaccination obligatoire est adressée à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l’article L. 1142-22, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou déposée auprès du secrétariat de l’office contre récépissé. »
Mais cette simplicité n’est qu’apparente…
Comment apprécier tout d’abord la question de l’imputabilité dans cette matière, alors que la communauté scientifique n’est pas unanime et qu’il existe un doute quant à l’innocuité du vaccin…
Pour faire simple, à la question « le vaccin contre l’hépatite B favorise-t-il vraiment l’apparition de la sclérose en plaque dans certains cas ? », la réponse est, suivant les scientifiques, que c’est manifestement le cas ou au contraire que l’on n’en est pas absolument certain.
Le mécanisme qui expliquerait le lien n’est pas précisément connu, et les statistiques de nature à démontrer que les patients vaccinés seraient plus susceptibles d’être touchés par la sclérose en plaque sont contestées par certains, au motif que les ordres de grandeur ne seraient pas significatifs.
On est donc dans la probabilité, sans certitude : or, en droit français, on sait que la conséquence probable ne s’indemnise pas (sauf peut être le cas spécifique de la perte de chance, qui se rapproche quand même un peu de la probabilité… mais c’est un autre sujet) ; pour obtenir une indemnisation, il faut un fait générateur, un préjudice, et un lien de causalité entre les deux : ici, c’est le lien de causalité qui fait défaut puisqu’il n’est pas démontré, mais seulement suspecté.
C’est la jurisprudence qui a tranché la question, il y a des années : Par arrêt du 9 mars 2007, le Conseil d’État a estimé qu’un lien de causalité pouvait être regardé comme établi entre la vaccination contre l’hépatite B et la sclérose en plaques, sous réserve qu’il s’écoule un bref délai entre la vaccination et l’apparition des premiers symptômes de la pathologie démyélinisante d’une part, et que le demandeur soit en bonne santé et ne présente pas d’antécédents médicaux de sclérose en plaques d’autre part.
Par un autre arrêt du même jour, le Conseil d’État a admis, selon les mêmes critères, le lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et l’apparition d’une polyarthrite rhumatoïde.
Mais cette notion de « bref délai » n’a pas été définie plus précisément : les juridictions administratives puis judiciaires ont progressivement considéré, en s’harmonisant, qu’il devait s’agir d’un délai de trois mois au plus.
C’est une conception plutôt restrictive, et pour le moins arbitraire…
Il est exact que puisque l’on ne fonctionne pas avec la démonstration d’un lien de causalité mais avec une présomption de causalité, le corollaire qui en résulte consiste à poser une limite à cette présomption ; en l’occurrence c’est une limite dans le temps (de la manifestation des premiers symptômes) : mais il n’en demeure pas moins que l’application du critère est brutale.
En effet, très souvent les premiers symptômes ne sont pas compris immédiatement par le patient comme étant les signes avant-coureurs d’une sclérose en plaque, et la maladie elle-même n’est diagnostiquée qu’avec des mois voire des années de décalage ; il faut alors rétroactivement retrouver les traces de ces symptômes initiaux, alors que le patient n’a pas nécessairement consulté dans les trois mois.
Aussi est-il intéressant de constater que très récemment (à la date où j’écris l’article), le 21 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur la question : sur le principe elle confirme la jurisprudence française et indique que la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie, l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux de la personne vaccinée ainsi que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations peuvent, le cas échéant, constituer des indices suffisants pour établir une telle preuve : donc, pas de bouleversement de notre jurisprudence.
En revanche les précisions données par la Cour me semblent mériter l’attention :
Dans le cas d’espèce, le patient s’est vu administrer, entre la fin de l’année 1998 et le milieu de l’année 1999, un vaccin contre l’hépatite B produit par Sanofi Pasteur. En août 1999, il a commencé à présenter divers troubles ayant conduit, en novembre 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques. Il est décédé en 2011.
Dès 2006, sa famille et lui ont introduit une action en justice contre Sanofi Pasteur.
Saisie de l’affaire, la Cour d’appel de Paris a notamment considéré qu’il n’existe pas de consensus scientifique en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la survenance de la sclérose en plaques. Jugeant qu’un tel lien de causalité n’avait pas été démontré, elle a rejeté le recours.
Il semble donc que le rejet n’a pas été motivé par la faiblesse de l’administration de la preuve ou un délai trop important entre le vaccin et les premiers symptômes mais bien par l’absence de lien de causalité démontré scientifiquement entre le vaccin et la maladie.
Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation française demande alors à la Cour de justice si, malgré l’absence d’un consensus scientifique et compte tenu du fait que, selon la directive de l’Union sur la responsabilité du fait des produits défectueux, il appartient à la victime de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité, le juge peut se baser sur des indices graves, précis et concordants pour établir le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre le vaccin et la maladie. En l’occurrence, il est notamment fait référence à l’excellent état de santé antérieur du patient, à l’absence d’antécédents familiaux et au lien temporel entre la vaccination et l’apparition de la maladie.
Dans son arrêt, la Cour estime donc comme compatible avec la directive un régime probatoire qui autorise le juge, en l’absence de preuves certaines et irréfutables, à conclure au défaut d’un vaccin et à l’existence d’un lien causal entre celui-ci et une maladie sur la base d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants, dès lors que ce faisceau d’indices lui permet de considérer, avec un degré suffisamment élevé de probabilité, qu’une telle conclusion correspond à la réalité.
La Cour réfléchit en termes d’explication la plus plausible de la survenance du dommage.
Enfin (et surtout ?) la Cour précise qu’il n’est pas possible pour le législateur national ni pour les juridictions nationales d’instituer un mode de preuve par présomptions qui permettrait d’établir automatiquement l’existence d’un lien de causalité dès lors que certains indices concrets prédéterminés seraient réunis : en effet, un tel mode de preuve aurait pour conséquence de porter atteinte à la règle relative à la charge de la preuve prévue par la directive.
Or il me semble que le délai fixé à trois mois et en deçà duquel il y a présomption (que je considérais plus haut comme arbitraire), ressemble étrangement à ce que la CJCE interdit (la présomption permettant automatiquement d’établir un lien de causalité).
Le critère c’est, pour la Cour, la question de la plus grande probabilité ; la bonne nouvelle c’est que l’on devrait enfin réfléchir si l’on s’en tient à ce que dit la CJCE, au cas par cas.
Peut-être allons-nous donc sortir de ce système qui faisait tomber comme un couperet les refus d’indemnisation pour les patients qui ne rapportaient pas la preuve d’un premier symptôme dans les trois mois de la vaccination…
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